Aujourd’hui en Allemagne, ce n’est pas seulement l’Ascension mais aussi la fête des pères. Mon mari n’appellera pas son père pour lui souhaiter : »Alles Gute zum Vatertag!«1, notre fille agissant – si l’on peut dire ! – vraisemblablement de même à son égard. Quant à moi, je ne m’en mêle pas… conformément au dicton qui veut qu’« à Rome, on se comporte comme les Romains », dicton auquel je préfère personnellement la variante d’Uderzo et Goscinny dans Astérix chez les Bretons lorsqu’Astérix rétorque à un Obélix pas vraiment alléché par le sanglier bouilli recouvert de sauce à la menthe que contient son assiette : « Obélix, mange et ne fais pas de commentaires ! En Bretagne, il faut faire comme les Bretons ! ».
Déduire de l’attitude de mon mari et de ma fille que la fête des pères n’est pas célébrée en Allemagne serait aller un peu vite en besogne… ce que l’on fait fréquemment quand on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants du comportement de l’autre le plus autre qui soit, le ressortissant d’une autre sphère culturelle. J’ai fait pire lors de mes premières années de ce côté-ci du Rhin. Ne cherchant même pas à savoir à quoi ressemblait la tradition allemande en la matière, j’ai d’emblée imposé la célébration de la fête des pères, à la date allemande certes, mais à la française. Nous achetions, ma fille et moi, un cadeau qu’elle offrait solennellement à son père en déclarant non moins solennellement »Alles Gute zum Vatertag!«. La toute première fois – notre fille avait 10 mois –, j’ai même tellement insisté auprès de mon mari, qui se défendait en m’assurant que ça ne se faisait pas, qu’il a fini par décrocher le téléphone et appeler son père. (Photo ci-contre : © Marie Rosticher)
Mon comportement n’était rien d’autre qu’une illustration de ce que l’on désigne, en jargon interculturel, sous le terme d’ethnocentrisme culturel. Ce dernier, comme la Covid-19, peut toucher tout le monde – même les personnes qui ont fait des études d’allemand, la preuve ! – et ses conséquences, qui paraissent anodines dans le cas de la fête des pères, peuvent se révéler désastreuses : de la négation de la culture de l’autre à celle de sa vie, il n’y a qu’un pas trop souvent franchi ainsi que l’attestent nos livres d’histoire.
Contrairement à la Covid-19 qui grippe actuellement les rouages de nos sociétés, origines et fonctionnement de l’ethnocentrisme culturel sont désormais bien connus. Nous intériorisons la culture, dans laquelle nous tombons à la naissance comme Obélix dans la marmite de potion magique, à un point tel que nous la croyons universelle jusqu’au jour où… nous rencontrons quelqu’un qui, étant tombé, lui, dans une autre marmite que la nôtre, croit lui aussi dur comme fer que sa culture est universelle. La prise de conscience à l’occasion de cette rencontre que notre culture n’est en définitive qu’une parmi d’autres est profondément insécurisante et anxiogène et elle peut conduire, dans le pire des cas, à ce qui s’est joué entre la France et l’Allemagne – l’exemple que je connais le mieux – pendant des siècles. Or, « en acceptant de reconnaître l’autre, l’horizon habituel s’élargit et d’autres façons d’agir, plus efficaces dans certaines situations, deviennent familières. […] Il est utile de connaître au moins un système culturel étranger. Non seulement pour mieux comprendre "l’autre", mais pour se rendre compte de la difficulté que doit éprouver cet autre à se familiariser avec notre système culturel. Sa culture peut nous servir de miroir et nous faire prendre conscience de notre propre conditionnement culturel. »2 Et cela est source d’enrichissement – France et Allemagne devenant le moteur de l’Europe pour reprendre le même exemple que précédemment –, une source à laquelle je m’abreuve depuis 31 ans maintenant.