Rituel de fin d’année : le cadeau à la maîtresse
« Vivent les vacances / Plus de pénitences / Les cahiers au feu / La maîtresse (ou Le maître ou encore Et les profs) au milieu ! », entonnions-nous volontiers à l’approche des "grandes vacances". Je vous parle de ça, autant dire « d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître »1 ! Une époque où les parents ne savaient pas toujours – et heureusement ! – où étaient et ce que faisaient leurs enfants… Une époque à laquelle a succédé un monde dit de bisounours dans lequel la comptine de mon enfance n’a plus véritablement sa place2.
Mais avant de remiser le cartable pour huit semaines de liberté toute relative – parents et grands-parents hélicoptères n’étant jamais bien loin – le moment est venu de sacrifier au rituel de fin d’année scolaire : le cadeau à la maîtresse/au maître3 !
(photo, © Marie Rosticher)
S’il renvoie à la tradition des étrennes4 dont on récompense, pour services rendus, pompiers, éboueurs, facteurs… ce geste hautement symbolique est surtout révélateur de ce qui fait la particularité du "métier" d’enseignant. « Enseigner revient à donner une forme d’amour altruiste et si l’enfant ressent l’implication du professeur, cela le sécurise et l’aide à apprendre », explique Maël Virat5, chercheur en psychologie et auteure.
Les marques ont évidemment flairé la bonne affaire : à raison d’environ 25 enfants par classe et dans la mesure où il ne viendrait pas à l’idée de la grande majorité des parents de se soustraire à cette pratique sous peine de stigmatiser leur(s) enfant(s), les cadeaux faits aux enseignants en fin d’année scolaire sont indéniablement un marché porteur ! Mugs, trousses, sacs en toile ou autres pots à crayons arborant en couleurs généralement pastel « Merci pour cette belle année », « Pour la meilleure maîtresse », etc. côtoient désormais les cadeaux DIY ou classiques chocolats, colliers, parfums, bouquets de fleurs. C’est ainsi que ma plus jeune sœur, toujours très gâtée, s’est constitué au fil des années une fort belle collection d’orchidées ! Et pour lui avoir posé la question, je sais que si 2021 n’a pas été une année ordinaire pour les raisons qu’on sait, elle a d’ores et déjà reçu en cette fin d’année autant de cadeaux que les années précédentes.
Oubliés les punitions, les efforts fournis et pas toujours couronnés de succès côté élèves, l’indiscipline et les longues heures de préparation ou de correction coté enseignants : donner à son tour quelque chose à celui ou celle qui a tant donné de sa personne permet aussi d’effacer les ardoises et de se quitter bons amis. Toujours très touchés, émus aux larmes par cette reconnaissance qui ne va pas forcément de soi dans le monde du travail, nombre de professeurs des écoles ont alors la sensation d’exercer le plus beau métier du monde et à aucun ne viendrait alors à l’idée d’entonner la comptine, revue et corrigée, de leur enfance : « Vivent les vacances / Plus de conférences (pédagogiques) / Les programmes (variante de l’ère Covid : l’protocole [sanitaire]) au feu / Les élèves au milieu » !
1 cf. La bohème, Charles Aznavour
2 cf. Une chanson pour enfants provoque la polémique, article publié par Boulevard Voltaire en mars 2019
3 Le cadeau offert à l’enseignant en fin d’année scolaire concerne surtout l’école maternelle et l’école élémentaire. A partir du collège, la diversification des matières enseignées par des professeurs différents fait évoluer la relation que l’on établit et entretient avec ces derniers.
4 cf. Étrennes et nouvel an : d'où vient cette coutume ?, Le Figaro, 29 décembre 2017
5 cf. Quand les profs aiment les élèves, Éditions Odile Jacob, 2019