Ecole… Attention… Danger !
Jamais je n’aurais pensé devoir prendre un jour le panneau de signalisation ci-contre au sens propre. Depuis le 16 octobre 2020, j’ai beau examiner et examiner encore mes souvenirs, nulle part je ne trouve trace d’un quelconque danger lié à la fréquentation de l’école. Qu’avions-nous à redouter en effet ? Des mauvaises notes, des punitions pour ne pas avoir fait nos devoirs ou les avoir bâclés, pour avoir bavardé avec notre voisin ou copié sur lui, pour avoir mangé du chewing-gum en classe… Bah, on passait un quart d’heure au coin, on faisait x fois le tour de la cour, on était de corvée de nettoyage du tableau (noir) pendant quelques jours, privé de récréation ou copiait 100 fois « Je ne mangerai plus jamais de chewing-gum en classe. »… et on n’en parlait plus.
De nos jours, à l’école, on est obligé de porter un masque, de se désinfecter sans cesse les mains, de garder ses distances avec ses camarades pour éviter de contracter et de propager la covid-19. De nos jours, devant l’école, il y a des barrières pour empêcher les personnes mal intentionnées de se garer et les portes sont continuellement fermées à clé afin qu’aucune desdites personnes mal intentionnées ne puisse pénétrer à l’intérieur et prendre enseignants et enfants en otages. De nos jours, devant l’école, il y a régulièrement des policiers en uniforme aux heures d’accueil et de sortie des élèves. De nos jours, à l’école, on risque de se voir privé du jour au lendemain d’un professeur parce qu’il aura été sauvagement assassiné pour « avoir tenu en [ses] mains l’intelligence et l’âme des enfants », pour « leur [avoir enseigné] le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort ».1
Samuel Paty « était un professeur, un simple professeur qui croyait que savoir était un grand trésor »2 et qui l’a payé de sa vie. Vendredi dernier, ses collègues et leurs élèves, ses supérieurs, ses compatriotes et tous ceux pour qui la liberté d’expression n’est pas qu’une formule lui ont rendu hommage. J’ai pensé à l’une de mes sœurs, professeur des écoles, et à ce titre chargée de transmettre à ses élèves de CP/CE1 un message dont nombre d’adultes ne mesurent pas, ne veulent pas mesurer la portée. J’ai pensé aussi à sa fille, Clara (7 ans), qui, avant même d’en maîtriser la graphie, a déjà compris le pouvoir d’exutoire des mots et pour qui l’école est aussi désormais ce lieu d’où maman risque un jour de ne pas rentrer.
M’est revenu le poème intitulé En sortant de l’école3 et que son auteur, Jacques Prévert, se verrait aujourd’hui contraint de réécrire :
« En sortant de l’école du collège
Nous avons rencontré
Un grand chemin de fer drôle de personnage
Qui nous a emmenés proposé
Tout autour de la terre Quelques centaines d’euros
Dans un wagon doré Si nous lui montrions le prof d’histoire-géo »…
Submergé par l’émotion, Prévert poserait alors son crayon. Et là, il prendrait sa tête dans ses mains et il pleurerait4…
1 Lettre aux instituteurs et institutrices, Jean Jaurès, La Dépêche, 15 janvier 1888
2 cf. la chanson de Jean-Jacques Goldman Il changeait la vie
4 D’après Déjeuner du matin, Jacques Prévert, Paroles, 1946