Nouveauté 2020 : le devoir de mémoire « a minima »
Avec les 80 ans de l’invasion allemande de l’Europe de l’Ouest en mai 1940, les 80 ans de la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne le 22 juin 1940, les 75 ans de la libération des camps de concentration1, les 75 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe le 8 mai 1945, l’année 2020 promettait d’être commémorative et, en France plus particulièrement, gaullienne. « La France outragée, la France brisée, la France martyrisée, mais la France libérée » entendait célébrer dignement les 130 ans de la naissance et les 50 ans de la disparition du général de Gaulle, figure tutélaire de la Ve République, ainsi que les 80 ans de l’appel qu’il lança le 18 juin 1940 après avoir quitté la France qui s’apprêtait à s’engager « dans la voie de la collaboration »2.
Et puis, la3 Covid-19 est arrivée et avec elle, une nouvelle manière de s’acquitter du « devoir de mémoire » : nombre restreint d’écharpes tricolores, pas de vétérans ("personnes à risque"), pas de public et, ceci expliquant sans doute cela, pratiquement pas de médias. Place donc à la « commémoration à huis clos » ou « a minima », expressions qui ont immédiatement fait florès alors qu’elles frisent le contresens.
Qu’est-ce en effet qu’une commémoration ? Héritée de la célébration antique des héros, revue et corrigée par le christianisme, cette mise en scène symbolique des épisodes marquants du passé d’une nation a certes pour objectif de prévenir la répétition de ces derniers, mais c’est avant tout une catharsis identitaire4 et une catharsis en petit comité, comme on dit communément, ça ne le fait pas !
Cela étant, il peut arriver que le huis clos reproduise exactement les circonstances historiques dans lesquelles se déroulèrent certains événements. C’est le cas en particulier pour l’appel du 18 juin 1940 qui, lors de sa diffusion sur les ondes de la BBC, est loin d’avoir eu la portée que les commémorations lui accordent5. Renouvelé le 22 juin, le jour de la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne, il incita certes la quasi totalité de la gente masculine de l’île de Sein à gagner l’Angleterre mais si Winston Churchill, sans le soutien de qui Charles de Gaulle n’aurait pu enregister sa déclaration, avait demandé à celui-ci : « La France libre, combien de bataillons ? », il aurait été bien embarrassé pour répondre en dépit de ses indéniables talents oratoires.
1 Auschwitz le 27 janvier 1945, Buchenwald le 11 avril 1945, Dachau le 29 avril 1945, Theresienstadt le 8 mai 1945 pour ne citer que les plus tristement célèbres…
2 Philippe Pétain, le 30 octobre 1940
3 Nos "Immortels" ont mis à profit le temps du confinement pour enquêter sur le genre de l’acronyme Covid-19 après qu’il ne leur eut sans doute pas échappé que nos cousins québécois avaient opté pour le féminin. A juste titre ont fini par décider les têtes chenues de l’Académie, le "d" de Covid signifiant desease qui correspond à « la » maladie. L’ennuyeux, c’est que nous disons tous « le » Covid depuis le mois de novembre et que le mot est donc entré dans le langage courant au masculin. Quel dommage, pour une fois qu’on ne pouvait que tomber d’accord avec le Quai Conti, qu’il n’ait pas démenti sa lenteur légendaire !
4 « La commémoration publique […] relève d’une stratégie consciente et organisée. Elle est un dire en acte, appelé à compléter ou à purger de façon rétroactive et cathartique le passé. […] Cette mémoire joue un rôle essentiel pour l’identité du groupe… », Du bon usage des commémorations – La Commémoration, entre mémoire prescrite et mémoire proscrite, Bernard Cottret et Lauric Henneton.
5 Mémoire n’est pas histoire, cf. Pierre Nora, Les Lieux de mémoire