Déconfinement, l’heure de gloire des coiffeurs
Face à l’image du Struwelpeter1 (cf. photo ci-contre) renvoyée par le miroir à l’issue de sept à huit semaines de confinement, aucun risque de tomber en extase devant une chevelure comme Charles Baudelaire2 en son temps ! La nature a bel et bien repris ses droits : non seulement dans les rues de nos villes – on a encore vu un sanglier arpenter la Croisette ces derniers jours – mais également au niveau de notre pilosité capillaire.
Ce n’est pourtant pas faute de nous être arraché les cheveux en endossant auprès de nos enfants le rôle dévolu en temps normal à leurs enseignants, ces héros de la République que plus jamais – promis, juré ! – nous ne critiquerons. Mais comme dans le même temps, nous n’arrêtions pas de nous en faire, des cheveux, en songeant à nos vieux parents reclus dans une chambre minuscule d’un Ehpad, l’un des lieux les plus mortifères3 qui soient en période de canicule ou de pandémie, force est de constater qu’à la veille d’avoir à nouveau le droit de nous hasarder hors de notre domicile, nous avions tous l’air, côté capillaire, d’avoir remonté l’évolution humaine jusqu’à l’homme de Néanderthal… A l’exception, évidemment, de tous ceux qui n’avaient pas encore compris que l’expression "couper les cheveux en quatre" ne s’employait qu’au sens figuré. Mal leur en a pris ! Il paraît qu’ils ont décidé de rester confinés quelques semaines de plus, le temps de dénicher une coiffeuse à domicile qui ne soit pas overbookée…
On ne le dira jamais assez : couper les cheveux, c’est un métier, un art aussi vieux que la civilisation elle-même dans la mesure où cette crinière que nous abandonnons aux mains expertes du coiffeur est « l’un de nos biens les plux précieux »4. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer les mythes, symboliques et autres croyances qui depuis toujours s’attachent à elle – de Dalila privant Samson de sa force en lui coupant les cheveux durant son sommeil aux mâles assoiffés de vengeance tondant les "collaboratrices horizontales" à la Libération afin de se réapproprier leurs corps profanés par l’ennemi en passant par les guerriers scalpant les dépouilles mortuaires de leurs adversaires.
Le sociologue Michel Messu5 va jusqu’à considérer le coiffeur comme « une sorte de chamane séculier » et le temps qu’il nous consacre comme une véritable cérémonie (très ritualisée) d’où l’on ressort réconcilié avec son image de soi. Loin de n’être qu’un empilement de molécules de kératine, le cheveu, explique Michel Messu, est en effet un puissant marqueur d’identité et cela, pas uniquement en raison de l’ADN que recèle sa racine : « […] le cheveu nous parle. Il nous dit bien des choses des autres et du monde qui nous entoure. Il dit bien des choses de nous-même aux autres et nous situe dans le monde. »6
Quel gâchis que ces millions de marqueurs d’identité finissant dans les poubelles de nos figaros ! L’envie me vient de les exhorter à imiter Adolphe Pâques, coiffeur de Chateaubriand de 1840 à 1848, qui a recueilli, coupe après coupe, et conservé chacun des cheveux de son illustre client avant de réaliser avec ce matériau inédit un tableau7 représentant la chambre natale de l’écrivain. Quand je pense aux œuvres que pourraient générer les pluies de cheveux qui ruissellent actuellement sur le sol des salons de coiffure de Bavière (depuis le 4 mai) et d’ailleurs… Il y aurait de quoi enrichir les collections permanentes d’un musée du confinement et organiser moult expositions temporaires !
1 Der Struwelpeter (litt. "Pierre l’ébouriffé") : comptine du XIXe siècle toujours très populaire en Allemagne. Imaginée par le médecin Heinrich Hoffmann, elle a pour personnage-titre un garçonnet refusant obstinément de se faire couper cheveux et ongles. L’adaptation française, intitulée Crasse-Tignasse, est signée Cavanna (https://charliehebdo.fr/2018/02/societe/crasse-tignasse/)
2 https://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/charles_baudelaire/la_chevelure
3 Et cela en dépit du dévouement incontestable du personnel soignant qui mériterait plus que des applaudissements !
4 Source : https://www.orientation.com/metiers/coiffeur.html
5 et 6 L’Ethnologue chez le coiffeur, Michel Messu, Fayard, 2013
7 Tableau (https://zeldaetloulou.wordpress.com/2011/08/05/le-coiffeur-de-chateaubriand-dadrien-goetz/) que l’on peut découvrir au musée de Saint-Malo ; cf. également le très bon livre d’Adrien Goetz : Le Coiffeur de Chateaubriand, Grasset, 2010.