La chaise de Proust
Pendant longtemps, les enfants n’ont pas été, que ce soit de la part de la société ou même de celle de leurs parents, l’objet d’une attention particulière. On les considéraient purement et simplement comme des adultes en miniature. Ceux parmi eux que la cigogne avait malencontreusement déposés dans un “milieu défavorisé” étaient en outre mis au travail dès qu’ils en étaient physiquement capables afin de contribuer à remplir l’escarcelle parentale. Pas d’enfance donc au sens où on l’entend de nos jours, peu ou pas de chaleur affective non plus : la mortalité infantile était tellement élevée qu’on ne s’attachait guère à ces petits êtres dont le passage sur terre était parfois très bref. « J’ai perdu deux ou trois enfants en nourrice, non sans regrets, mais sans fâcherie. », constate Montaigne1 cité par Philippe Ariès dans L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (Editions du Seuil, 1973).
Si un changement – perceptible dans la représentation des enfants en peinture – s’esquisse à partir de la fin du XVIe siècle, il faut attendre la fin du XVIIIe siècle et surtout la révolution industrielle à partir de la moitié du siècle suivant ainsi que les lois obligeant les parents à scolariser leurs enfants pour que la période de l’enfance de ces derniers s’allonge. Et il faudra encore plusieurs générations qu’elle ressemble et cela, pour tous les enfants,{jcomments off} à ce que nous connaissons : la centration sur l’enfant, son bien-être, son épanouissement. Une évolution qui s’accompagnera de l’émergence progressive d’un univers (mode, mobilier…) à son image et à sa taille.
Depuis le 7 décembre dernier et jusqu’au 4 février, la Pinakothek der Moderne de Munich consacre une exposition à un élément de cet univers, la chaise pour enfant. Intitulée …Nur Stühle? Kinderstühle der Sammlung Neuwald2, cette rétrospective en retrace l’évolution depuis la période Biedermeier (1815-1848) jusqu’à aujourd’hui. Les petites chaises exposées sont issues de la collection personnelle d’une Munichoise, Mme Gisela Neuwald. Dans l’interview figurant dans le catalogue, cette dernière raconte comment est née cette envie de collectionner les chaises pour enfant. Dans les années 1970, elle découvre par hasard, dans le grenier d’une amie, une de ces petites chaises qui, à la manière de la madeleine de Proust, fait surgir dans sa mémoire une scène de son enfance : en 1944, alors que les bombardements se succèdent dans le ciel berlinois, sa petite chaise lui donne un sentiment de sécurité. Lorsque sa famille prendra le chemin de l’exode, la petite Gisela ne pourra malheureusement pas emporter sa chaise-refuge. Et voilà comment des dizaines d’années plus tard, on se retrouve à la tête de plus de 300 chaises !
Une exposition à découvrir avec ses enfants ou seul(e), histoire de réveiller l’enfant qui sommeille plus ou moins profondément en chacun de nous !
1. Montaigne, Essais, II, 8
2. en français : …Seulement des chaises ? Les chaises pour enfant de la collection Neuwald