L’enfance bavaroise de Jean d’Ormesson
En apprenant ce matin que la mort venait de voiler à tout jamais le regard bleu malicieux de Jean d’Ormesson, j’ai tout de suite repensé à son livre Je dirai malgré tout que cette vie fut belle (Gallimard, 2016) au début duquel il évoque ses huit premières années (1925-1933) qui se déroulèrent en… Bavière…
… où son diplomate de père avait été nommé. De cette enfance bavaroise, il gardait de très bons souvenirs :
« j’[ai beaucoup aimé la Bavière]. En dépit de Hitler. Ses lacs, ces châteaux, ses églises baroques, ses Alpes au loin sont le décor de mon enfance. Ses garçons en culotte de cuir avec leurs larges bretelles – j’ai porté moi-même une de ces lourdes culottes qui vous transformaient en fils de Minos et de Pasiphaé – et ses filles blondes aux yeux bleus que nous apercevions rassemblés autour de la fontaine au cœur des villages que nous traversions à bord de la Renault conduite par Mederer, j’avais envie de les connaître et de jouer avec eux. J’écoutais mes parents parler de Linderhof, de Hochschwangau, de Neuschwanstein, les châteaux enchantés et délirants où Louis II de Bavière, le roi romantique et fou, petit-fils de Louis Ier, l’amant de Lola Montez, recevait Richard Wagner et sa femme Cosima, la fille de Liszt et de Madame d’Agoult. J’aimais déjà les mots et les noms venus d’ailleurs. Je rêvais de Nuremberg dont on me vantait les beautés, de l’Allgäu, de Berchtesgaden, appelé à devenir tristement célèbre, de Garmisch-Partenkirchen où les jeunes Ba–varois aller se livrer un sport qui m’intriguait déjà : le ski. J’aimais surtout les lacs de Bavière aux noms pleins de charme et de mélancolie : l’Ammersee, le Chiemsee, le Tegernsee – théâtre un an après le départ de mon père, de la première tuerie du national-socialisme : le massacre des S.A. de Röhm par les S.S. de Hitler –, le Starnbergersee. Mes parents louaient pour les beaux jours une villa à Tutzing sur les bords du Starnbergersee. Bien avant Saint-Fargeau et les forêts de Puisaye, un peu de mon cœur est resté à Tutzing que j’aimais à la folie, qui s’est changé en souvenir dans un temps disparu et que je ne reconnaîtrais sans doute même plus si me venait à l’esprit l’idée funeste de retourner à tâtons dans cette légende évanouie. »