Paperasserie
Suite à ma décision en septembre dernier de demander la nationalité allemande, j’enchaîne les expériences inédites. J’ai dû passer un test de citoyenneté – histoire de vérifier que les principes et les valeurs fondamentaux (1) de la République fédérale ne m’étaient pas étrangers – et un test d’allemand – ce n’est pas comme si je pratiquais l’allemand quotidiennement dans ma vie personnelle et professionnelle depuis un quart de siècle ou étais titulaire d’une maîtrise de langue et civilisation allemandes !
Laissons de côté le crime de lèse-MO – me faire ça à moi ! –, la plupart des Etats se montrent de nos jours très exigeants envers les allochtones (2) candidats à la naturalisation sauf bien sûr s’ils sont capables de prouesses en tapant dans un ballon. L’obtention du précieux sésame ouvrant droit à la délivrance de papiers d’identité ressemble de plus en plus à une course d’obstacles. Réunir les documents requis m’aura pris personnellement six mois. Il est vrai qu’en matière de démarches administratives, j’ai une fâcheuse tendance à aller un train de sénateur.
La semaine dernière, je me suis ainsi livrée à l’exercice consistant à remplir le formulaire de demande d’obtention de la nationalité allemande. Je n’insisterai pas sur les renseignements à fournir – « on » tient par exemple à s’assurer que je ne vivrai pas aux crochets de la collectivité. Qu’« on » se rassure, ceux de mon mari me suffisent amplement ! – et en arrive directement à la rubrique dans laquelle le postulant – moi en l’occurrence – doit motiver sa requête. Pour ce faire, je disposais des deux tiers environ d’une page A4. Beaucoup trop à vrai dire pour indiquer de bien vouloir se reporter à Soumission (3), le dernier roman commis par Michel Houellebecq (joint au dossier) dont la lecture – notamment la description apocalyptique faite par l’auteur de l’état de la France – justifie à elle seule que je veuille me réfugier dans le giron de l’Allemagne, pays dont est par ailleurs issue la majorité des drôles d’oiseaux qui nichent dans mon arbre généalogique.
Enfin, ça, c’est ce que j’avais envie d’écrire. Mais au dernier moment, je me suis ravisée et renonçant aux fanfaronnades et autres persiflages, j’ai fait ce que l’on attendait de moi. Pour la bonne raison que vivant bien tranquillement dans mon igloo bavarois et en bonne intelligence avec les autorités – je « collabore » (4) même régulièrement en tant qu’interprète avec la police locale –, je n’allais tout de même pas dynamiter ce capital. Ce serait oublier en outre que si je peux, moi, me permettre de me gausser d’une démarche ne représentant dans mon cas qu’un enjeu intello-sentimentalo… enfin vous voyez le genre, je n’en manquerais pas moins de respect ce faisant à tous ceux pour qui Maxime Le Forestier écrivit : « On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille, on choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher. » (Être né quelque part) Tous ceux dont l’avenir dépend de ce qui figure dans un fichu dossier et cela, parce que, contrairement à moi, ils sont tombés sur la mauvaise cigogne.
(1) Je n’emploie pas cet adjectif par hasard. Das Grundgesetz, expression qui désigne la constitution de l’Allemagne, se traduit en français par « la Loi fondamentale ».
(2) Ce dernier terme, qui n’a rien à voir avec Nabila (!), n’est autre que l’antonyme d’autochtone et est semble-t-il d’un usage courant aux Pays-Bas.
(3) La version allemande, intitulée Unterwerfung, est sortie en librairie neuf jours après la parution en France. Il n’est pas impossible que je vous fasse part de ce que m’a inspiré la lecture de l’original.
(4) C’est un peu une tradition dans la famille…