Le Renard et le Président
La trêve des confiseurs1, locution française bien connue, a pour caractéristique d’être surtout utilisée durant la période qu’elle désigne, à savoir la succession de jours qui sépare les fêtes de Noël de celles du Nouvel An et que nous tenons absolument à vivre comme une parenthèse aussi hermétique que possible à tout ce qui, de près ou de loin, pourrait rappeler la vallée de larmes qu’est, tantôt plus, tantôt moins, notre quotidien.
Les préoccupations des grands de ce monde se font, elles-mêmes, légères et n’en sont pas moins rapportées par les médias qui se mettent au diapason de l’état d’esprit ambiant. Ainsi plusieurs journaux allemands se sont-ils fait l’écho, en début d’année, de la révélation par la présidence allemande (cf. photo ci-contre) de la présence récurrente d’un renard dans le parc du château de Bellevue2. Le locataire actuel des lieux, Monsieur Franz-Walter Steinmeier, ayant décidé d’octroyer un nom au sympathique quadrupède, a d’ailleurs invité ses concitoyens à lui faire des suggestions.
Rencontre avec Sophia Mavroudis, auteure de romans noirs
Munich Accueil et Marie-Odile Buchschmid vous invitent à rencontrer
le 19 janvier 2021
de 18h30 à 20h00
sur Zoom
une auteure qui n’en revient toujours pas d’être là où elle est aujourd’hui.
Ecouter Sophia Mavroudis, c’est mettre le cap sur la mer Egée, Athènes et la Grèce,
un pays que l’on apprend à mieux connaître au-delà des clichés.
C’est durant son séjour à Munich que Sophia Mavroudis, née à Casablanca d’une mère grecque et d’un père français, décide de mener à bien un projet qui lui tient à cœur depuis longtemps : écrire sur la Grèce, le pays où elle a grandi. Mais au lieu de l’essai auquel la prédestinerait sa formation en sciences politiques et relations internationales à Sciences Po (guerres et conflits en Europe et à sa périphérie), elle opte pour le genre du… roman noir !
On a tous en nous quelque chose de Charles de Gaulle
130e anniversaire de sa naissance, 80e anniversaire de l’appel du 18 juin, 50e anniversaire de sa disparition… 2020, c’était couru d’avance, serait l’année de Gaulle. Ce qui n’était pas prévu en revanche, c’est qu’un virus inconnu au bataillon viendrait mettre la chienlit dans le programme de commémorations qui promettaient d’être au moins à la hauteur de la reconnaissance vouée par la patrie au grand homme.
Escamotées, confidentielles, les cérémonies officielles, qui ont eu lieu, tenaient parfois du service minimum de France Télévisions lors d’un mouvement social de certaines catégories de son personnel ! Mais peut-être n’en ont-elles été finalement que plus décentes et plus respectueuses de la personnalité de l’homme du 18 Juin qui, faut-il le rappeler, s’était fermement opposé de son vivant à ce qu’on lui organisât des obsèques nationales.
Charles de Gaulle ayant été mon tout premier président, comment résister à la tentation d’y aller, moi aussi, de mes souvenirs même si, née en 1964, je n’étais pas bien vieille à l’époque. L’image que je garde de lui se confond avec celle alors en noir et blanc de la télévision. C’est celle d’un très vieux monsieur dont la gestuelle me faisait penser à ces pantins articulés à qui une ficelle permet de lever les bras. S’exprimait-il qu’il le faisait de la grosse voix des grandes personnes s’adressant à un enfant qui avait fait une bêtise. L’auditoire ne semblait toutefois pas s’en formaliser. Au contraire, à peine avait-il cessé de parler et avait-il levé les bras qu’une vague de « Vive de Gaulle ! » déferlait. Enthousiasmée, ma petite sœur Sandrine levait alors elle aussi les bras et s’écriait « [golo], [golo] » avant d’éclater de rire.
Ainsi qu’il l’avait annoncé lors d’une conférence de presse1 d’anthologie, l’inventeur de la Ve République n’a pas manqué de mourir. Colombey-les-deux-Eglises ne se trouvant pas très loin de la ville où j’ai grandi, le petit village où est enterré le grand Charles est bientôt devenu l’un des buts d’excursions proposés par mes parents aux amis ou membres de la famille de passage à la maison. Lorsque nous nous y rendions, mes sœurs et moi guettions l’apparition à l’horizon de l’immense2 croix de Lorraine au pied de laquelle nous demeurions de looooongues minutes en silence… Dirigeant mon regard vers le sommet du monument, il me semblait le voir osciller et je n’avais qu’une peur c’est qu’il ne finisse un beau jour, tel le chêne de la fable sous les coups de boutoir « du plus terrible des enfants que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs »3, par nous tomber dessus. Second site4 incontournable : le cimetière de Colombey et la tombe de marbre blanc devant laquelle nous stationnions à nouveau en silence, silence durant lequel je me suis souvent fait la réflexion que de Gaulle devait vraiment avoir été un homme très très grand pour avoir droit à une tombe tellement plus imposante que celle des autres morts.
J’avais hâte que ces séances se terminent mais quelque chose me disait qu’il aurait été très mal venu d’en faire état en soupirant d’ennui ou en hasardant un « C’est quand qu’on s’en va ? ». Imprégnation culturelle, imaginaire et inconscient collectifs avaient déjà bien préparé le terrain au système éducatif républicain auquel est assigné le rôle de transmettre aux « chères têtes blondes » roman national, génie de la France et autre « devoir de mémoire ». A la fin de ma scolarité, je n’avais ainsi pas seulement le bac en poche mais aussi « une certaine idée de la France ». Du général de Gaulle en revanche, je n’avais guère entendu parler même s’il était originellement prévu qu’il croisât ma route à la fin du programme d’histoire de 3e et de terminale, programmes que nous n’avons évidemment jamais bouclés. Mon profond intérêt pour l’histoire et la politique ainsi que mon parcours professionnel m’ont néanmoins permis de combler un certain nombre de lacunes, les commémorations, qui se sont succédé au fil des années, constituant en outre d’excellentes occasions de mettre un peu d’ordre dans les connaissances accumulées.
Ces dernières semaines, j’ai donc suivi assidûment les hommages rendus par la France à celui à qui elle doit en grande partie d’être aujourd’hui ce qu’elle est. Le ton grandiloquent voire franchement hagiographique de certains discours, témoignages ou documentaires m’a, une fois de plus, mise mal à l’aise. Je n’ai pas besoin de chercher bien loin l’origine de ce sentiment : depuis plus de trente ans, je vis dans un pays, l’Allemagne, dont les ressortissants ne brandissent pas leur nationalité comme un étendard et entretiennent – et pour cause ! – une relation totalement dépassionnée à leurs dirigeants. Le comportement de la très grande majorité des responsables politiques est à l’avenant. Quand on sait que la chancellerie fédérale a été ou est encore surnommée Elefantenklo ("toilettes pour éléphants") ou Waschmaschine ("machine à laver"), force est de constater qu’on est vraiment à mille lieues des « ors de la République ». Lorsqu’on est originaire de France, on a un peu de mal à s’y faire au début. Mais comme on se rend très vite compte que l’Allemagne ne s’en porte pas plus mal (!), on en vient même à se demander si la France ne serait pas bien avisée de s’inspirer de cet exemple – j’ai failli écrire « modèle » – en laissant enfin de Gaulle, 50 ans après sa mort et sans que cela ne lui retire aucun mérite, reposer en paix…
1 Conférence de presse du 4 février 1965
2 Près de 45 mètres
3 Le chêne et le roseau, Jean de La Fontaine, Fables, 1668
4 La Boisserie, la résidence de la famille de Gaulle a été ouverte à la visite en 1980 et le Mémorial Charles de Gaulle a ouvert ses portes en 2008.
La France et ses châteaux… d’eau
Lorsque je me rends dans ma commune d’origine et qu’au terme du voyage, elle se profile à l’horizon, je me surprends chaque fois à vérifier des yeux que les maisons, les usines désaffectées, les hangars, les enseignes publicitaires… dont la présence me confirme que je suis bien en pays de connaissance, sont toujours là. Or, en août dernier, ce scénario, que je croyais immuable, a été interrompu par l’irruption dans mon champ de vision d’un château d’eau que j’ai eu l’impression totalement perturbante de n’avoir jamais vu auparavant. Rationalité oblige – il ne m’a pas échappé que la construction de ces équipements n’étaient plus vraiment à l’ordre du jour –, j’ai néanmoins fini par le remettre, éprouvant un profond soulagement à voir à nouveau coïncider la réalité de ma bonne vieille bourgade et l’image que je garde d’elle.
J’aurais sans aucun doute très vite oublié cet épisode si je ne m’étais rendu compte les jours suivants que mon regard était irrésistiblement attiré par tous les châteaux d’eau qui croisaient ma route. Et il en alla ainsi pendant les trois semaines de mon séjour aux confins de la Bourgogne et de la Champagne. Imaginez un instant que je les ai tous photographiés, je serais rentrée à Munich avec suffisamment de clichés pour organiser, pourquoi pas, une exposition à l’Institut français ou élaborer une typologie à la manière de Bernd et Hilla Becher. Ces deux photographes allemands de l’Ecole dite de Düsseldorf sont connus pour avoir immortalisé à partir des années 1950 des bâtiments et autres équipements industriels tels que des silos, des gazomètres, des tours de refroidissement, des hauts fourneaux et des… châteaux d’eau. Leur démarche, qui consistait à « isoler le motif » pour « [émanciper] l’objet par rapport à l’environnement auquel il est attaché par sa fonction »1, avait pour effet de « guider notre regard vers quelque chose qu’en tout état de cause, nous ne percevons pas »1. Au moment où j’avais à résoudre un problème de châteaux d’eau, il n’y avait rien d’étonnant à ce que le projet artistique du couple Becher me soit revenu à l’esprit.
Constater que je percevais ma région d’origine avec l’œil d’artistes de ce calibre avait de quoi flatter mon ego volontiers surdimensionné, mais de là à me lancer dans une carrière de photographe, il y a un pas que je me garderai d’autant plus de franchir que le regard que je porte sur la France n’est pas celui d’une artiste mais celui d’une Française expatriée en Allemagne depuis plus de trente ans. Plus de trente années qui m’ont vue me familiariser avec la culture allemande et la laisser, de fort bonne grâce d’ailleurs, gagner de plus en plus de terrain dans ma vie. Dans le même temps – phénomène analogue à celui des vases communicants ? –, je prenais du recul par rapport à la culture française, tellement de recul2 que j’en suis aujourd’hui à "découvrir" des comportements, des gestes, des habitudes, des éléments du quotidien… qui ont pourtant été miens durant un quart de siècle !
Cet été, ce furent donc les châteaux d’eau qui, de fait, se font plutôt discrets dans mon environnement actuel. Et pour cause : l’Allemagne, qui leur a préféré les réservoirs semi-enterrés, n’en posséderait que 2 000 contre 16 000 pour la France. Et la Haute-Bavière, où je réside, a dû quant à elle faire l’économie de bon nombre d’entre eux grâce aux Alpes. Et cela, pour le plus grand bonheur de nos yeux, car entre une montagne et un château d’eau – même s’il peut faire penser à un bouchon de crémant (de Bourgogne !) ou s’il est rehaussé par une fresque – il n’y a vraiment pas photo…
1 Source : Objectivités – La photographie à Düsseldorf, catalogue de l’exposition éponyme (4 octobre 2008 – 4 janvier 2009, MAM de la Ville de Paris), Schirmer/Mosel Verlag, Munich, 2008
2 Recul encore accru par le confinement et l’impossibilité totalement inédite de se rendre dans l’Hexagone