Hommage à Michel Serex

Texte rédigé à la suite du Festival Carco et à l'instigation de Michel Serex

CHATILLON SE SOUVIENT

Me serais-je jamais intéressée à Francis Carco s’il n’avait vécu à Châtillon-sur-Seine, la ville dont je suis moi-même originaire ? Châtillon où un rond-point, une école, un quartier portent son nom, perpétuant le souvenir de ce mal aimé des histoires de la littérature et autres programmes scolaires.

Je devais avoir 15 ou 16 ans lorsque Michel Serex me prêta Mémoires d’une autre vie, livre dans lequel Carco renoue avec son passé châtillonnais. J’entamai la lecture de la première page :
« Il y avait trente ans que je n’étais revenu dans ce pays, et je gravissais, lentement, le raidillon de l’église, lorsque le jour tomba. Une brume légère, qui flottait sur les prés, sentait l’eau, l’herbe humide, la terre, la feuille pourrie. En haut de la côte, à droite, le mur du cimetière prolongeait les remparts du château dont il ne reste qu’une tour massive et qu’un pan de maçonnerie prolongé d’un donjon ébréché, noirci par l’âge et creux comme un verre de lampe. La découpure des arbres, massés devant le porche de l’église et son clocher de tuiles, barrait la perspective... »
Ces lignes, où la poésie ne le cède en rien à la nostalgie, « [produisirent] un effet extraordinaire »* sur moi : je me retrouvai soudain à cheminer aux côtés de l’auteur, percevant comme lui les senteurs de l’hiver cependant que les silhouettes familières de Saint-Vorles et de la tour de Gissey revêtaient leur manteau de brume.
A cet ouvrage paru en 1934, je dois d’avoir pris conscience de mon attachement à cette ville qu’il me tardait pourtant de quitter, car « chacun a son destin. Le mien n’[était] pas dans cette retraite »**. Le jour venu, je laissai derrière moi les lieux de l’enfance. Quelques années plus tard, je m’en éloignai davantage encore, mettant une frontière entre nous. Mais comme, quoiqu’on en dise, on emporte bel et bien sa patrie à la semelle de ses souliers, je glissai Mémoires d'une autre vie dans mes bagages. Depuis, il me suffit de repérer du regard le livre dans ma bibliothèque pour à nouveau flâner avec son auteur dans les rues de Châtillon. Ce que la madeleine fut à Proust, Carco l’est à la Châtillonnaise qu’au fond de moi je suis restée… Impensable dans ces conditions de ne pas me trouver dans “notre“ ville lors des journées du patrimoine 2014, à lui dédiées !

 

Impossible n’est plus châtillonnais quand volonté et talent – Châtillon-Scènes (Yolande Estrat surtout à qui le festival Carco doit d’avoir vu le jour !), Pierres vivantes pour le théâtre en Bourgogne et France Accordéon ne manquent assurément ni de l’une ni de l’autre – s’allient sous l’œil bienveillant, qui plus est, de la municipalité. Le résultat ? Une exposition, une conférence, un récital, une représentation théâtrale et un atelier d’écriture***… soit le programme ambitieux qui s’impose eu égard à la personnalité à facettes de celui qui fut, ainsi que je l’appris à cette occasion, poète, romancier, auteur de chansons, académicien Goncourt, cinéaste, acteur… Moi qui ne connaissais de lui jusque-là que sa période châtillonnaise, au demeurant fort brève, j’étais vraiment loin du compte ! Lors de ce festival, j’ai finalement moins retrouvé Francis Carco que je ne l’ai découvert.
Monique Marmorat, Calédonienne d’origine – faut-il rappeler que François Carcopino-Tusoli naquit à Nouméa ? –, a apporté un cachet particulier à l’exposition Nouméa, Châtillon-sur-Seine, Paris, qui a ouvert les festivités. Choix on ne peut plus judicieux dans la mesure où, retraçant sa vie, celle-ci nous a permis de nous remémorer qui était Carco et d’apprécier d’autant plus les manifestations qui ont suivi. Celles-ci ont en effet repris et approfondi les aspects du parcours de l’auteur (Carco et les femmes, Montmartre et la bohème…) mis en exergue par et lors de l’exposition.
Le dialogue Carco-Colette a prouvé qu’une conférence n’était pas fatalement synonyme de cours magistral et rébarbatif. Entrecoupées d’extraits de textes de l’auteur de Jésus-la-Caille et de sa « grrrande amie » et rehaussées par la “présence“ de cette dernière – Corine Thézier, étonnante ! –, les interventions de MM. Freyssinet et Maget (spécialistes respectivement de Carco et de Colette) n’en ont été que plus passionnantes.
Les deux autres spectacles avaient été tout aussi habilement conçus. Le récital (« Mais oui, mais oui, le temps revient… » – soirée de poèmes, de chansons, de musique, autour de Francis Carco) et la création originale (Carco, l’ami des maudits), signés tous deux Pierres vivantes, nous ont fait entreprendre un voyage à travers le temps et l’espace. Nous n’étions plus en 2014, dans la salle des conférences de la mairie de Châtillon, mais dans les années 20 et 30, à Montmartre. Grâce à Robert Bensimon, Claude Bornerie, Fabrice Coccito, Michel Serex, Corine Thézier et Baudoin Sama, nous n’avons pas seulement vu naître l’œuvre du chantre des bas-fonds, mais nous sommes encanaillés avec lui, avons guinché dans les musettes et poussé l’une ou l’autre goualante…

Mention spéciale donc à ce festival « [orienté] vers la vraie personnalité de “M’sieur Francis“ »**** et dont le moindre mérite n’est pas d’avoir redonné sa place à une œuvre qui, par-delà ses qualités littéraires, « marque un moment de société, celui où basculent pêle-mêle, la Ville, l’Industrie, le Monde rural, les mœurs bourgeoises, entre deux conflits »*****.

Marie-Odile Buchschmid-Rosticher

*Mémoires d'une autre vie
**Ibid.
***Christal de Saint-Marc s'est fait le fidèle écho de chacune des manifestations sur son blog (www.christaldesaintmarc.com)
**** et *****Michel Serex in Rencontres, Cahier de Pierres Vivantes, n° 1, 2014

Marie-Odile Buchschmid
Birkenweg 14
82291 Mammendorf

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