14 juillet 2020 : Vézelay se souvient de Max-Pol Fouchet.

Classées au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979, la basilique et la colline éternelle de Vézelay attirent chaque année entre 800 000 et 1 000 000 personnes qui toutes gravissent, à l’image des pèlerins de jadis1, les rues pentues du petit village bourguignon jusqu’au parvis de Sainte-Marie-Madeleine. Le 14 juillet dernier, j’ai moi aussi emprunté cet itinéraire pour, une fois poussé le portail de l’église et laissé derrière moi la pénombre du narthex, entrer dans la lumière de la nef romane. Cette nef qui, un matin d’août 1980, accueillit une dernière fois l’agnostique Max-Pol Fouchet. C’est l’un des prêtres de la basilique, le père Pascal, qui en avait pris la responsabilité, au grand dam de sa hiérarchie, « [ayant bien compris] que Max-Pol avait refusé d’adhérer à quelque religion que ce soit, pour les respecter toutes, et que son attachement à la grandeur et à la beauté signifiait qu’il cherchait partout l’homme et qu’il défendait le droit à la justice et à la dignité »2.

 

Mais au cœur de l’été 2020, en ce jour de fête nationale de la République française, c’est derrière l’église, sur la terrasse ombragée du Château, non loin du petit cimetière où il repose, que Marianne Fouchet, sa fille, et Christian Limousin, poète, historien d’art et président de l’association des Amis de Max-Pol Fouchet, avaient convié à se souvenir de lui à travers la création d’Il suffit d’un nom3, un spectacle écrit spécialement pour l’occasion par Robert Bensimon du Théâtre de l’Impossible. Grâce aux talents conjugués de Corine Thézier, Pierre Carteret et Robert Bensimon lui-même, les mots, les phrases4 de Max-Pol Fouchet ont résonné à nouveau, les intermèdes musicaux5 de Jean-Philippe Grometto en prolongeant encore l’écho.  Impressions en images

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L’émotion était tangible : celle des interprètes, sur scène pour la première fois depuis le mois de novembre, celle de Marianne Fouchet dont la voix se brisa à plusieurs reprises lors des remerciements qu’elle adressa, à l’issue de la représentation, à la compagnie du Théâtre de l’Impossible comme aux spectateurs auxquels s’étaient mêlés des promeneurs, ayant initialement interrompu leur déambulation vézelienne pour profiter de l’ombre dispensée par les grands arbres délimitant la terrasse, pour finalement demeurer et suivre l’hommage à Max-Pol Fouchet.

L’émotion, dont je suis de moins en moins avare au fil des années, n’a cessé de m’envahir tout au long de ces heures, en vagues successives : celle des retrouvailles avec Corine, Pierre et Robert, celle de faire la connaissance de Marianne Fouchet, de découvrir sous sa guidée la maison6 achetée en son temps par son père, celle d’accéder au saint des saints, le bureau7 de Max-Pol Fouchet, ce bureau que je n’avais vu jusque-là qu’en noir et blanc et dont j’avais enfin la possibilité de franchir le seuil, m’attendant presque à voir surgir le maître des lieux venu chercher le veston oublié sur le dossier d’une chaise…

DVD INA MPFCette émotion, je la retrouve en écrivant ces lignes. Elle ne m’a pas quittée par-delà le retour en Allemagne. Je l’ai prolongée en m’abreuvant, ainsi que je le fais sporadiquement, à la fontaine Fouchet, le temps d’une (re)lecture ou du visionnage du DVD Afrique noire – Max-Pol Fouchet (réédition ©2019 Frémeaux & Associés Télévisions sous licence INA) offert par Marianne Fouchet. En dépit du noir et blanc qu’il était le premier à regretter, on se laisse prendre par la télévision, nettement moins bavarde qu’elle ne l’est aujourd’hui, telle que la concevait celui qui en fut aux côtés de Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet l’un des pionniers : un moyen de transmettre des connaissances, d’apporter la culture chez/à ceux à qui elle fait si peur qu’ils ne l’estiment pas faite pour eux, qu’ils se jugent indignes de la recevoir. Il s’agit moins ce faisant de vulgariser les connaissances que le passeur de culture a lui-même « engrangées » que de les « clarifier » : « je voulais que les œuvres fussent présentées non seulement en elles-mêmes, mais comme des témoignages fournis par un homme, l’artiste, aux autres hommes. […] Je me suis toujours efforcé de donner des clés, laissant à mes auditeurs le soin d’ouvrir eux-mêmes les portes et de pénétrer dans les œuvres »8.  Et des clés, Max-Pol Fouchet continue d’en donner. Je peux en témoigner, moi qui ai pu en ajouter plus d’une à mon propre trousseau grâce à lui.

1 Vézelay est aujourd’hui encore le point de départ du Chemin d’Assise et de l’une des voies vers Compostelle.

2 Jules Roy, Le grand phare dont nous avions besoin… in Max-Pol Fouchet ou le passeur de rêves sous la conduite de Guy Rouquet, Le Castor astral, 2000

3 J’ai relié le titre de ce spectacle à Nous ne sommes pas vaincus…, l’éditorial du numéro 10 de la revue Fontaine paru au cours de l’été 1940 et dans lequel Fouchet écrivait : « Nous ne sommes vaincus qu’au militaire. Mais, au spirituel, nous sommes toujours victorieux. […] La victoire française est de pouvoir répondre par des noms*. […] Savons-nous assez qu’à la suite d’Apollinaire et de Péguy, autour de Claudel, de Supervielle, de Jouve, d’Eluard, de Cocteau, de Max Jacob, de Valéry, pour ne citer que ceux-là, se déploie, animée de la plus haute conscience, une admirable poésie ? Que chacun dans son ordre recense les siens. Les noms* lui viendront aux lèvres si nombreux qu’il reprendra courage et foi. A l’heure où la confusion des plans atteint une abusive puissance, la France, pour être digne de sa mission, se doit de rétablir la véritable hiérarchie. […] Ici**, qu’on le sache, nous travaillerons, de tout notre amour, à la permanence de son intouchable triomphe, avec la conviction que les victoires ou les défaites des peuples se mesurent à la seule échelle des civilisations. » Le retentissement de cet éditorial fut tel qu’on peut légitimement le considérer comme l’acte de naissance de la résistance intellectuelle, la revue Fontaine ayant constitué pour les intellectuels français désireux de s’engager une véritable patrie tout au long de ces années noires. *C’est moi qui souligne. / **Au sein de la revue Fontaine, dont le siège se trouvait à Alger

4 Issus essentiellement de deux ouvrages de Max-Pol Fouchet, Les Peuples nus et Demeure le secret

5 A noter le choix particulièrement judicieux des morceaux interprétés par le flûtiste : 4e et 5e Incantations (1938) d’André Jolivet, écrites au retour d’un voyage en Afrique, Pour une communion sereine de l’être avec le monde et Funérailles du chef ; pour obtenir la protection de son âme, entre autres

6 « A Vézelay, les vieux murs épais de la maison m’écoutent sans que je parle, et j’entends leur parole de silence. Quand j’arrive, après un séjour ailleurs, ces rugueux se font tendres, ils dissipent mon inquiétude. Je pourrais dire qu’ils ont une fois plus d’une fois guéri mon chagrin. Si je suis accompagné, j’ai l’impression qu’ils me boudent. Nous ne sommes plus seuls. La solitude, dont ils sont, depuis des siècles, les serviteurs, leur a ordonné d’agir ainsi. Je sens plus tard à des signes connus de moi, que leur humeur change, et ces pierres énormes, réconciliées, me suivent quand je me déplace dans la maison, montent l’escalier avec moi dans mon bureau, encadrent le paysage de forêts et de collines dans la fenêtre… », Max-Pol Fouchet, Fontaines de mes jours, Stock, 1979

7 « A Vézelay, j’ai placé mon bureau de telle façon que je ne puisse voir, lorsque j’y travaille, qu’une mince ligne d’horizon et l’immensité du ciel, avec cet espace de silence que corbeaux et corneilles coupent de leurs ailes comme avec des ciseaux. Tourné vers l’ouest, sans quitter ma table, je suis le témoin des couchers de soleil, dont la lumière d’abord se retire de colline en colline, ainsi qu’elle fait sur l’eau des ports de Lorrain, puis se redéploie dans le ciel, où sa traîne longtemps d’or se transforme en lits de braise comme ceux que les nomades abandonnent derrière eux, enfin viennent les roses, les mauves, les bleus sombres, et la solitude, héroïne du spectacle, passedans la nuit. Jamais autant qu’en de telles heures elle n’est plus nécessaire, plus profonde, plus généreuse. », Max-Pol Fouchet, ibid.

8 in Fontaines de mes jours, Stock, 1979, p. 263.

 

Marie-Odile Buchschmid
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