Fille de pub
(photos, © KreA2)
Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé la pub. Cet intérêt mêlé de fascination remonte à l’époque où mes parents nous envoyaient nous coucher, mes frères et sœurs et moi, dès la fin des informations* afin que nous fussions en pleine possession de nos moyens le lendemain à l’école. Tels les condamnés à mort implorant « Encore un moment, Monsieur le Bourreau. », nous quémandions un sursis – « On regarde encore la publicité, d’accord ? » – toujours accordé.
Jusqu’à l’apparition, dans les années 80, de La Nuit des Publivores et autres Culture Pub, l’univers de la publicité, cette entreprise de manipulation du consommateur, sentait un peu le soufre et n’avait en particulier pas droit de cité dans les établissements scolaires. Ce n’est que plus tard, lors de mes études de Fle, que j’ai découvert les possibilités didactiques offertes par les spots TV ou radio et la pub magazine ou internet. Professeur de Fle à l’Université populaire durant 14 ans, j’en ai usé et abusé pour mon plus grand bonheur et celui de mes apprenants. Miroir de la société dans et pour laquelle elle a été conçue, la publicité se prête merveilleusement bien à la mise en évidence et à la prise de conscience des différences culturelles.
De publicité et de différences culturelles, il ne pouvait pas ne pas être question lors de la dernière soirée-rencontre organisée par le Club économique franco-allemand de Bavière et dont le thème était… Goûts et couleurs… Séduire les consommateurs français.
Chargés de nous éclairer de leurs lumières : Christine Schepper-Bonnet et Patrice Duchemin, respectivement chef de projet et conseiller marketing et stratégie de l’agence de communication interculturelle KreA2 qui met au service des entreprises allemandes « sa connaissance approfondie du langage visuel des cultures française et allemande afin que [leur stratégie de communication] soit la plus en phase possible avec les attentes du public français. » Les deux intervenants ont de par le contenu et le style de leurs exposés brillamment démontré que les différences culturelles, une fois identifiées et maîtrisées, peuvent non seulement coexister pacifiquement mais surtout, en s’alliant, devenir un incontestable facteur de réussite. Autant dire que je me suis régalée ! Mais pas que, comme on dit aujourd’hui.
Je me suis rendu compte une fois de plus que mon image de la France datait et se ressentait de plus en plus de ma “germanisation avancée” – j’ai vécu 25 ans en France, je suis en Allemagne depuis 29 ans. Face aux deux photos (cf. ci-contre) présentées par Christine Schepper-Bonnet par exemple, je n’ai certes eu aucun problème à identifier la nationalité du public auquel chacune d’entre elles était censée s’adresser tout en ne me reconnaissant pas entièrement dans celle (photo de droite) destinée aux consommateurs français. Le soir même, ce ne fut guère qu’une impression diffuse que j’ai tenté d’expliciter le lendemain.
Je me suis ainsi demandé si le choix de placer une tranche de rôti de porc à l’estragon dans l’assiette française était judicieux. Persuadée que le porc est une caractéristique de l’alimentation allemande, j’aurais en effet choisi pour représenter la France une recette à base de bœuf. Voulant en avoir le cœur net, j’ai fait quelques recherches sur Internet et suis littéralement tombée des nues en découvrant que les Français achètent davantage de porc que de bœuf** ! J’aurais en outre accompagné ce rôti à l’estragon du vin blanc nécessaire à sa réalisation ; or, si j’en crois les sites internet consultés, un vin rouge léger et fruité fait parfaitement l’affaire, qui confère de plus une note colorée bienvenue à la composition. Enfin, j’ai déploré l’absence de moutarde, un must en matière de gastronomie française, non ? A moins que je n’attribue ce faisant à mes compatriotes une pratique personnelle liée mes origines… dijonnaises ?! Une question parmi d’autres à poser à la sympathique équipe de KreA2 la prochaine fois que leur route croisera à nouveau la mienne.
En attendant, je vais poursuivre ma remise à niveau (inter)culturelle grâce à la lecture de l’ouvrage de Patrice Duchemin, Le Pouvoir des imaginaires (éd. Arkhê), dont la publication est prévue le 18 mai. Je risque d’y perdre quelques illusions et de devoir faire le deuil de mainte autre certitude, mais peut-être parviendrai-je ainsi à empêcher que le fossé, qui se creuse entre mes compatriotes et moi-même, ne devienne trop profond.
*On ne les appelait pas encore “JT”.
**cf. http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/conjsynt322201804cons.pdf