Jamais à court de mots, la langue allemande

DudenRéentendant récemment à la radio For me… formidable de Charles Aznavour, je me suis fait la réflexion que s’il y a une phrase de cette chanson que les Allemands n’ont a priori aucune raison de jamais dire à un ou une de leurs compatriotes, c’est bien : « Je suis malheureux d’avoir si peu de mots à t’offrir en cadeau ». Pour la bonne et simple raison que le nombre de références de leur « marché aux mots » (dixit Monsieur Henri dans La Grammaire est une chanson douce d’Eric Orsenna) est de… 23 millions ! C’est en effet le nombre d’entrées en 2017 de la banque de données du Duden1, la bible des dictionnaires en Allemagne.

Comment en arrive-t-on à une telle inflation de vocabulaire ? Cela tient d’une part à la manière dont la rédaction du Duden alimente sa banque de données2. A partir du moment où un mot a été créé en conformité avec les règles de morphologie lexicale de l’allemand, il est considéré comme un nouveau mot allemand et a vocation à intégrer ladite banque de données. Et cela même s’il n’a été employé qu’une seule fois… par la personne (auteur, journaliste… ) à qui il doit d’avoir vu le jour3.

Ce stock de mots surdimensionné résulte d’autre part de l’extrême plasticité de la langue allemande dont le lexique possède la particularité de s’autogénérer, particularité que l’écrivain, essayiste et traducteur d’origine allemande Georges-Arthur Goldschmidt explicite en ces termes : « […] la facilité de composition de mots par agglutination de parties simples, pour constituer un ensemble complexe. »4 Ainsi, là où la langue de Molière fait un détour par le grec ou le latin, recourt à un complément du nom, une périphrase voire une proposition relative, celle de Goethe emboîte les mots comme un enfant les briques LEGO. Là où le français alourdit considérablement la phrase ou accouche d’un néologisme dont il n’est pas rare que le sens échappe à Monsieur ou Madame Tout-le-Monde, l’allemand dispose d’un mot précis et sémantiquement transparent.

L’exemple que tout germaniste rencontre forcément un jour est le mot Donaudampfschifffahrtsgesellschaft qui se traduit en français à grand renfort de prépositions par “société de navigation à vapeur sur le Danube”, l’allemand se contentant de mettre bout à bout les mots Gesellschaft (société), Fahrt (déplacement, trajet), Schiff (bateau), Dampf (vapeur) et Donau (Danube). Et on peut parfaitement rajouter un “wagon” si je puis dire, s’agissant de navigation. Imaginez qu’il soit question du capitaine (Kapitän) de la société, on le désignera en allemand par le substantif Donaudampfschifffahrtsgesellschaftskapitän. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Si, suite au renouvellement de l’uniforme du personnel, la casquette (Mütze) du capitaine mérite un commentaire, on utilisera pour ce faire le terme Donaudampfschifffahrtsgesellschaftskapitänsmütze.

Parlant couramment l’allemand depuis l’âge de 18 ans – c’était dans les années 80 –, je continue d’être fascinée par cette souplesse linguistique. Il semblerait que ce ne soit pas le cas de tout le monde. D’après Gérard Foussier5, certains apprenants iraient jusqu’à développer une véritable phobie des mots trop longs, phobie baptisée “hippopomonstrosesquippédaliophobie” qui, en allemand, se dit tout simplement… Wortangstkrankheit6!

 

1. cf. https://allemagne.diplo.de/frdz-fr/aktuelles/06-Educationetsciences/-/1798328 et https://www.welt.de/kultur/article167820246/Es-gibt-viel-mehr-deutsche-Woerter-als-wir-wussten.html

2. Se reporter aux articles cités en 1.

3. Il n’est pas inintéressant de relire ce qu’écrivait Alain Rey dans la préface de l’édition 2016 du Petit Robert : « Aucun dictionnaire n’est complet au sens où il contiendrait tous les mots de la langue écrite. L’ensemble des mots utilisés en français relève d’un autre ordre de grandeur, qui d’ailleurs ne saurait être précisé. Dans le moment présent, le lexique est indéterminé, car à chaque instant des mots sont créés ou empruntés qui n’arrivent pas à la connaissance de l’ “honnête homme” (taxinomies scientifiques, terminologies, etc.) et c’est tant mieux, car il n’en a aucun besoin. […] Si la notion de complétude n’a aucun sens, celle du nombre de mots traités n’a aucune pertinence. On peut enfler à volonté la nomenclature d’un dictionnaire général de la langue en puisant dans les répertoires de mots rares. La surenchère qualitative, souvent utilisée comme argument de promotion des dictionnaires généraux, touche l’aspect le plus formel de la nomenclature. Or, une bonne nomenclature de dictionnaire est une structure, et non une simple liste d’entrées […]. »

4. Georges-Arthur Goldschmidt, Quand Freud voit la mer – Freud et la langue allemande I, Buchet/Chastel, 1988, préface, p. III

5. Gérard Foussier, Soyez bref ! – Quelques bizarreries de la langue allemande, Documents, 4/2016, p. 72

6. Wort = mot, Angst = peur/angoisse, Krankheit = maladie.{jcomments off}

 

Marie-Odile Buchschmid
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