Une exposition peut en cacher une autre !
En cette période d’infobésité, point de salut sans la lecture en diagonale, une technique qui peut néanmoins se révéler contre-productive. J’en ai récemment fait l’expérience lors d’une exposition de la Kunsthalle à Munich, du titre (survolé forcément) de laquelle je n’avais retenu qu’une chose : il était question du musée d’Orsay. En attendant le début de la visite guidée, j’ai lu le dépliant remis avec le billet d’entrée et découvert enfin le titre intégral de l’exposition : Le Bon, le Vrai, le Beau : chefs-d’œuvre de la peinture du Salon du musée d’Orsay2.
Exit donc les toiles de Manet, Monet, Pissarro, Renoir… que j’espérais revoir. Pour ne m’être intéressée jusqu’à présent, faute de temps, qu’à la collection impressionniste dont l’ancienne gare d’Orsay est l’écrin, j’ai en effet tendance à croire qu’elle ne recèle rien d’autre1. Or, les impressionnistes – qualificatif péjoratif à l’origine ne l’oublions pas – n’avaient pas la cote à l’Académie des Beaux-Arts qui avait la main-mise sur le choix des œuvres exposées au Salon de peinture et de sculpture.
Des débuts pourtant prometteurs
Avant que Charles Le Brun, peintre officiel de la Cour, n’obtînt en 1648 de Louis XIV que celui-ci fondât l’Académie royale de peinture et de sculpture, les artistes étaient considérés comme des artisans et appartenaient à la même corporation que les doreurs ou les vitriers. La création de l’Académie3 mit un terme à cet amalgame, ce qui revenait de facto à reconnaître à l’artiste un statut particulier. Si l’apparition de l’Académie insuffla indéniablement un vent de renouveau dans le paysage artistique, les principes (primauté du dessin sur la couleur ; étude approfondie du nu et de l'anatomie ; préférence pour le travail en atelier par rapport au travail en plein air…) qu’elle instaura ainsi que la réactivation de la hiérarchie des genres (peinture d’histoire, portrait, peinture de genre, paysage et nature morte) héritée de l’Antiquité et codifiée dès 1668 par André Félicien, le secrétaire de l’Académie, se muèrent bientôt en diktats peu favorables à l’épanouissement de la créativité et du talent. La signification peu flatteuse de l’adjectif académique appliqué à l’art (« qui suit étroitement les règles conventionnelles, avec froideur ou prétention ») en dit long à cet égard tout comme le surnom d’art pompier dont fut affublé l’art académique au XIXe siècle, au cours duquel la rebellion, des impressionnistes en particulier, contre le dogmatisme de l’Académie atteignit son paroxysme. Napoléon III alla même pour apaiser les esprits jusqu’à créer en 1663 un éphémère Salon des Refusés.
Les peintres académiques, illustres inconnus
William Bouguereau (1825-1905), Alexandre Cabanel (1823-1889), Jean-Léon Gérôme (1824-1904), Jean-Paul Laurens (1838-1921), Ernest Meissonier (1815-1891) ou Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), autant d’artistes dont les noms ne viennent pas spontanément – quand ils viennent – à l’esprit lorsque l’on évoque l’art pictural du XIXe… Tous ont pourtant eu leur heure de gloire, mais « la [fama] è mobile ». Ce n’est pas le moindre mérite de l’exposition de la Kunsthalle de Munich que de les avoir momentanément arrachés aux ténèbres des oubliettes (densément peuplées !) de ladite renommée pour les remettre en pleine lumière, donnant ainsi aux visiteurs l’occasion de les (re)découvrir et de se débarrasser de quelques idées fausses et autres préjugés.
Un aperçu à présent de ma visite :
L’accrochage de certaines œuvres n’est pas sans rappeler celui du Salon (cf. plus haut).
La Dame au jardin clos, Maurice Denis, 1899
Job, Léon Bonnat, 1880
La Famille Dubourg, Henri Fantin-Latour, 1878
Manda Lamétrie, fermière, Alfred Philippe Roll, 1887
1. Le musée d’Orsay, qui a ouvert ses portes en décembre 1986, présente la création artistique (toutes disciplines confondues) de la période 1848-1914 ce qui englobe l’académisme, l’impressionnisme, les Nabis, le symbolisme, le post-impressionisme et les Fauves.
2. Titre allemand de l’exposition : Gut Wahr Schön – Meisterwerke des Pariser Salons aus dem Musée d’Orsay (Kunsthalle München, 22.9.2017–28.1.2018)
3. Supprimée en 1793, elle sera remplacée en 1796 par l’Ecole des Beaux-Arts.