Injustement méconnu, Ekkehart Rautenstrauch
Lorsqu’il franchit le Rhin en 1968, Ekkehart Rautenstrauch a 27 ans. Le but de son voyage ? Paris bien sûr ! Paris dont la jeunesse, à force de chercher la plage sous les pavés, a fini par découvrir que ces derniers constituaient d’excellents projectiles. Mais le combat des étudiants parisiens n’est pas celui du jeune artiste allemand. En 1969, c’est dans la campagne nantaise qu’il pose son chevalet. Il ne la quittera plus, il y mourra en 2012.
« Ekke » aura donc passé plus de la moitié de sa vie en France. Aux dires de ses amis et collègues français, il était resté « allemand jusqu’à la racine des cheveux »1. Hubertus et Thomas, ses deux frères se demandent, quant à eux, si « le fait d’être confronté au quotidien à l’attachement empreint de fierté des Français à leur identité [n’aurait pas] renforcé ses liens à ses racines allemandes. »2
C’est en France qu’il a atteint sa maturité artistique et construit une œuvre dont l’espace, le temps, le son sans oublier la couleur sont les pierres angulaires. « Au fond, je cherche à faire de choses concrètes et réelles des formes et des signes abstraits et, en contrepartie, à faire accéder des formes abstraites et non-figuratives au statut de choses concrètes et réelles. C’est le fil rouge de mon travail depuis les années 70. »3 Aussi motivée que soit sa quête et même s’il s’aventure délibérément hors des sentiers battus, Ekkehart Rautenstrauch ne sait pas toujours où le mèneront les voies qu’il explore. Il en résulte une œuvre polymorphe et d’autant plus déroutante que l’artiste « ne s’est jamais inscrit dans aucun mouvement artistique, dans aucun "isme" »4. Un art ambitieux et exigeant, ce qui n’en a pas facilité la réception.
Pour sa nièce Nina, « Ekke nous exhorte à travers ses œuvres à estomper les frontières qui séparent les modalités sensorielles les unes des autres. Il veut nous transmettre plus qu’une sensation visuelle. Il nous invite à "regarder comme on entend résonner un son". […] Ekke nous invite à pénétrer ses pensées et à ressentir ses émotions ou plutôt à les trouver en nous-mêmes et à nous y identifier. Davantage encore, il nous incite à enrichir notre perception de nos sentiments et pensées, ces sentiments et pensées qui portent l’empreinte de notre vécu, de nos expériences et souvenirs, à faire émerger en notre for intérieur notre propre image et à la faire partager à notre tour à d’autres personnes de notre entourage. Il en résulte une réaction en chaîne. »5
Nul n’étant – c’est bien connu – prophète en son pays, Ekkehart est encore une « terra incognita » en Allemagne. Afin d’y remédier et dans l’espoir de provoquer eux aussi une réaction en chaîne, Hubertus et Thomas Rauten–strauch ont organisé à la fin de l’été une rétrospective de l’œuvre de leur frère dans leur ville natale à tous les trois. Ils en ont conçu et rédigé le catalogue qu’ils m’ont proposé de traduire.
Je n’ai pas réfléchi longtemps pressentant que cette traduction serait moins un exercice linguistique, une prestation professionnelle qu’une rencontre, une immersion dans un univers qui, tout en me confrontant parfois aux insuf–fisances de ma culture artistique, me permettrait aussi de combler mainte lacune. Ce fut effectivement le cas et en transcrivant dans ma langue maternelle la vie et l’œuvre d’Ekkehart Rautenstrauch, j’ai surtout découvert et appris à regarder cette dernière. Il était donc inimaginable que je ne sois pas à Zwickau le jour du vernissage.
A l’exposition de Zwickau en a immédiatement succédé une autre organisée à Nantes cette fois, par l’AFAER (Association franco-allemande Ek–kehart Rautenstrauch).
A quand la prochaine ?!
1 Ekkehart Rautenstrauch, Leben und Werk/Ekkehart Rautenstrauch – sa vie, son œuvre, p. 177, Dussa Verlag, 2017
2 op. cit., p.177
3 op. cit., p. 62
4 op. cit., p.24
5 in Ekke, meine Inspiration!, Nina Rautenstrauch, 2017
