Au pays de Christian Bobin

Ma découverte de Christian Bobin n’a rien de littéraire. Certes, nous avons la Bourgogne en partage, mais il est surtout le petit frère de mon professeur d’anglais de seconde et de terminale. D’où ma curiosité à l’origine qui, à la lecture de quelques-uns de ses textes, s’est muée en un réel intérêt. Chaque fois que je lis ce qu’il écrit, j’ai envie de le lire à haute voix. L’expression de « petite musique », quelque rebattue qu’elle soit, prend, appliquée au style de cet enchanteur de mots, tout son sens et ce, même si je ne le suis pas sur tous les terrains qu’il arpente : ce que l’on appelle son côté mystique me demeure étranger sans me laisser toutefois indifférente.
J’ai eu la chance de recevoir quelques lignes signées de sa main en remerciement de la traduction d’un article paru il y a un bon moment déjà dans les pages culturelles du Süddeutsche Zeitung, une page manuscrite dont je ne suis pas peu fière, mais que je n’ai cependant pas encadrée ou suspendue au mur tel un trophée. Ce serait lui rendre un hommage peu digne de ce qu’il est que de procéder ainsi.
Je viens de passer quelques jours dans la région du Creusot, pas loin du tout du village où il a sa retraite. Une parenthèse estivale après la grisaille de cet hiver qui n’en finissait pas. Parenthèse familiale et comme en marge de ma vie, de mon travail, de mes préoccupations et de la course de plus en plus folle du monde dont ne nous parvenaient plus que les images des infos télévisées vite refoulées ou le bruit des TGV fendant régulièrement l’air et le silence. Dans ces trains, des passagers se rendant toujours plus vite de A à B ou de B à A et à qui nous opposions notre immobilité lascive de vacanciers oisifs. Etendue dans un transat et au soleil de ma Bourgogne natale, je pris soudain conscience que je me trouvais au cœur de la France des terroirs, des poètes, des paroliers, des clichés véhiculés sur papier glacé par les tours opérateurs ou à travers leurs souvenirs de vacances par les touristes. Nulle trace de la crise, oubliés le chômage, les manifestations contre le mariage pour tous, l’affaire Cahuzac… La France éternelle existe, oui, je l’ai rencontrée et sais où la retrouver, où me ressourcer, dans cette Bourgogne qui « est mon berceau et la base d’envol de tous mes songes. » (Christian Bobin, interview, Lire, février 2013, page 46)

Demain, j'arrête

Gilles Legardinier, Fleuve noir, 2011

Passer devant une librairie sans en pousser la porte et en ressortir sans avoir acheté au moins un livre = impossible surtout quand comme moi, on n'a pas si souvent l'occasion de musarder dans un centre-ville français. Mon alibi était cette fois l'envie de lire le dernier livre de Christian Bobin, que je n'avais pas trouvé au salon du livre à Paris. J'en ai fait l'acquisition et, qui plus est, au Creusot, port d'attache de l'auteur. Forcément, j'en ai profité pour faire le tour des rayonnages et suis donc tombée sur “Demain, j'arrête“. Le nom de l'auteur ne me disait rien, la quatrième de couverture indique que ce livre a fait un tabac à sa sortie, mes recherches m'ont conduite à la chronique de Gérard Collard, étonnamment indulgent.

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La Relieuse du gué

Anne Delaflotte Mehdevi, éditions Gaïa, 2008

Mathilde a renoncé à une carrière dans la diplomatie pour vivre (de) sa passion, la reliure, un art que son grand-père lui a transmis. Elle s'est installée dans un petit village de Dordogne, où elle a ouvert un atelier de reliure dans une rue traversée par le gué qui donne son nom au roman. Elle a sympathisé avec les artisans dont les boutiques entourent la sienne et notamment avec un boulanger, qui depuis lui apporte chaque matin des chouquettes en échange d'un café. Son existence s'écoule tel un petit fleuve tranquille. Elle espère juste avoir bientôt plus de commandes, ce changement de vie ayant englouti toutes ses économies…
Elle se lève un matin un peu moins bien dans sa peau qu'à l'accoutumée. Elle attribue son humeur par trop nostalgique au vent et à la pluie qui se déchaînent ce jour-là. Il est très tôt encore ; elle s'apprête à se mettre au travail lorsque quelqu'un frappe et si vigoureusement qu'elle en éprouve presque de la peur. Déverrouillant la porte, elle se trouve face à un fort bel homme de carrure imposante. Ce dernier pénètre dans l'atelier, il émane de sa personne un parfum boisé si prononcé que Mathilde a l'impression que l'inconnu ne peut qu'avoir passé la nuit dans la forêt.
Il s'agit d'un client qui voudrait faire relier un magnifique ouvrage, aussi peu ordinaire qu'il l'est lui-même. Il lui dit qu'il viendra le rechercher le samedi suivant, verse 100 € d'arrhes et disparaît, sans même laisser ses coordonnées, aussi brutalement qu'il est apparu. La relieuse ne fait alors plus que penser à ce personnage si atypique, si séduisant ; elle se moque d'elle-même en constatant qu'elle se sent comme “amoureuse“. Son ami, le boulanger, remarque aussitôt son trouble. En apprenant la raison, il lui promet d'ouvrir l'œil et de tendre l'oreille ainsi que de lui faire part de tout ce qu'il pourra récolter comme informations.
Il tient très vite parole et ce qu'il lui raconte est de nature à mettre un terme définitif aux douces rêveries auxquelles elle avait commencé à s'adonner : l'inconnu a été renversé par un véhicule et est mort sur le coup. L'histoire ne saurait cependant s'arrêter là. Pour la bonne raison que l'annonce du décès du bel inconnu intervient à la page 52 du roman, qui en compte 244, mais aussi parce que si son propriétaire n'est plus, le livre, lui, est encore là. Lors de sa restauration, Mathilde va en effet découvrir que l'ouvrage recèle bien plus que de superbes aquarelles…
Un récit superbement mené et servi par un style aussi délicat que les gestes de la relieuse du gué !

Comme une bête

Joy Sorman, Gallimard, 2012

“Comme une bête“ est l'histoire d'un jeune homme qui aime les vaches au point de devenir boucher, nous annonce l'éditeur. Une phrase qui m'a suffi pour cliquer et acheter ce livre. Un comportement qui s'explique par mon enfance : mon père a exercé le métier de boucher pendant 40 ans et jamais je n'avais eu l'occasion jusque ici de voir sa profession mise en lumière. C'est peu de dire que je me suis jetée sur l'ouvrage et l'ai dévoré avec gourmandise, chaque page me faisant l'effet d'une madeleine de Proust. Cette frénésie ne s'explique pas uniquement cette fois par la dépendance pathologique que j'ai à la lecture. J'ai passé ma petite enfance dans le laboratoire de la boucherie où mon père travaillait. Curieux univers pour une gamine haute comme trois pommes et pourtant, je m'y sentais comme un poisson dans l'eau entre les carcasses, les couteaux et les hommes aux tabliers maculés de sang. J'aurais pu contempler mon père des heures durant quand il était en train de jouer du couteau pour désosser un morceau de viande sans trop de pertes. Je trouvais ça beau. J'ai encore l'odeur de la viande dans le nez, le bruit des couteaux qui crissent sur l'os ou que l'on aiguise dans l'oreille. Et j'ai retrouvé tout cela dans “Comme une bête“ de Joy Sorman, dont je tiens à saluer la performance. Tout y est ! Mais ça, Les Inrocks l'ont mieux exprimé que je ne saurais le faire : http://www.lesinrocks.com/2012/09/02/livres/comme-une-bete-joy-sorman-11288696/.

Les morts ont la parole

Lame de fond, Linda Lê, éditions Christian Bourgeois, 2012

Les deux premières phrases de la quatrième de couverture, qui en sont également l'incipit, m'ont immédiatement donné envie de lire ce livre. Allez, je ne vous fais pas languir, les voici : “Je n'ai jamais été bavard de mon vivant. Maintenant que je suis dans mon cercueil, j'ai toute latitude de soliloquer.“ Mon petit côté morbide sans doute. Il faut dire que quand on passe sa vie à la lire au lieu de la vivre, on s'imagine assez bien vivre sa mort en causant ! Le mort de ce livre, Van, cause donc, et il cause beaucoup, et il cause bien. Son registre de langue est un vrai régal ! Rien d'étonnant à cela, il était rédacteur (free-lance). Toute similitude entre le héros de Linda Lê et l'auteure de cette chronique, qui se trouve exercer la même profession, n'est vraisemblablement pas fortuite… Van donc, dont le prénom dénote une origine asiatique qui sera bientôt confirmée, a été renversé et tué sur le coup par une voiture conduite par… sa femme Lou. L'a-t-elle fait intentionnellement ou s'agit-il d'un accident particulièrement malencontreux ? Lou est la première à se torturer l'esprit à ce sujet. Elle aurait eu un motif de s'en prendre à Van. Celui–ci entretenait en effet une relation très particulière avec une certaine Ulma. La véritable victime dans cette histoire, c'est en définitive Laure, la fille de Van et de Lou.

Van, Lou, Ulma et Laure prennent tour à tour la parole, le style s'adaptant à la personnalité de chacun en contribuant par ailleurs à la façonner. Le lecteur apprend à les connaître avec leurs fêlures et découvre tout ce qui a précédé l'accident. Linda Lê entretient un habile suspense jusqu'à la révélation finale, qui vient titiller la bien-pensance qui sommeille plus ou moins profondément en chacun d'entre nous. Mais ça, ce n'est plus l'affaire de l'auteure !

Marie-Odile Buchschmid
Birkenweg 14
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